Rendez-vous perturbé

La Cour, où d’ordinaire une foule impressionnante était rassemblée pour écouter les déclarations de la Reine-Fleuve, était déserte.
Illysia frissonna en passant sous l’arche immense qui délimitait la Cour. Immense, carrée, elle était entourée d’une coursive large de plusieurs mètres, bordée de colonnes en pierre blanche. Des stalactites de glace formées par la tempête de la veille ornaient de leurs formes irrégulières le fronton ouvragé en marbre gris. Le tintement des gouttes peuplait l’espace fermé d’un doux murmure sous le soleil de ce matin glacé.
Illysia resserra la cape qu’elle portait sur les épaules. Une bise glaciale s’était levée, et faisait voler les flocons légers qu’elle soulevait des plaques de neige s’amoncelant sur le sol, formant comme une brume au ras du sol, qui s’élevait parfois en un tourbillon lorsqu’une bourrasque plus forte que les autres s’emparait à son tour des flocons blancs.
Le vent glacé faisait voler et claquer la cape épaisse de couleur ocre que la Mage Neige portait. Ses longs cheveux s’emmêlaient dans la bise, l’énervant davantage.
Elle était venue faire sa visite hebdomadaire à Türen, et était arrivée en avance par ce qu’elle devait passer dans une boutique chercher des herbes pour ses philtres. Malheureusement, cette boutique n’ouvrait qu’à neuf heures trente, heure à laquelle elle quittait généralement son ami. S’être levée plus tôt pour rien l’avait mise dans une colère froide, et bien qu’elle s’appliquât à garder son impassibilité, elle bouillonnait.
Un jeune homme d’une quinzaine d’années sortit de la coursive de droite, armé d’un piolet muni d’un long manche et d’un seau.
Il laissa échapper un nuage de vapeur en soupirant à cause de la tâche ardue et longue qui l’attendait, puis se mit au travail.
Sous les yeux d’Illysia, restée immobile à l’entrée de cette cour trop déserte, il commença à taper à l’aide de son piolet sur les stalactites pour les faire tomber dans le seau.

-Que fais-tu ? lui demanda la jeune femme.
-J’enlève les stalactites.
-Est-ce vraiment nécessaire ?
-Oui, il est prévu qu’un discours soit tenu dans trois jours, et il me faut deux jours et demi pour nettoyer intégralement les frontons. Je dois aussi enlever la glace prise dans les bas-reliefs.

Sur ce, il se remit au travail sans accorder plus d’attention à la jeune femme, qui se tenait, majestueuse, droite et fière, seule sous l’immense arche de pierre ouvragée de l’entrée.
Ne pouvant supporter une seconde de plus ce vent glacial, elle prit le chemin des coursives abritées, séparées du reste de la cour par des vitres épaisses qui les isolaient du vent.
Alors qu’elle allait passer la porte pour entrer dans la coursive, un mouvement en haut du balcon officiel attira son attention, et elle se recula pour voir.
Une chevelure bleue vola quelques instants dans le vent avant de disparaître dans le bâtiment. Illysia sourit. La Reine-Fleuve surveillait tout. Ce n’était pas plus mal, vu l’état de son royaume. Illysia compatissait. La jeune Reine avait un lourd fardeau à porté, encore alourdi par le poids de la ligne.
Elle posa une main sur la poignée, mais quelqu’un l’arrêta. Surprise, elle se retourna.

On parlait déjà dans quelques maisons d’un discours prévu d’ici quelques jours à la cour. Alors, le jeune Iri ayant été averti par les bruits dans ces quelques maisons, se pressa de trouver le chemin de la cour et d’y voir ce qu’il s’y passait pour pouvoir par la suite aller conter dans les rues et dans tous les quartiers les nouveautés du royaume. Sa couverture sur les épaules, les yeux fermés, comme à son habitude, il marcha dans le froid s’imaginant déjà écouter un discours de la reine. Il s’imaginait surtout les réactions du peuple, c’était cela le plus intéressant dans un discours. Et mieux encore, ce n’était pas les réactions pendant le discours mais après celui-ci. Les disputes que ça engendrait, les séparations mais aussi les amitiés qui se formaient entre deux personnes du même avis. Ce qu’il préférait, c’était les rumeurs, les gens qui n’avait pu écouter le discours et qui se donner le droit de raconter tout et n’importe quoi à n’importe qui.

Lorsqu’il arriva à la cour, il entendit au loin un jeune homme discuter avec une jeune femme dont la voix lui était familière. Il s’approcha un peu plus et ouvrit les yeux, histoire d’être sûre de l’identité de la jeune femme.Une demi-seconde eut suffit pour qu’il la reconnaisse. En effet la jeune femme était Illysia, une Mage qui l’avait hébergé et qu’il connaissait bien à présent. Il s’approcha d’eux mais déjà leur discussion était terminée. Il entendit les pas d’Illysia s’éloigner et il l’a suivi, se doutant qu’elle ne l’avait pas encore remarqué. Ne sachant où aller la jeune femme il l’interpela d’une douce voix en commençant à chantonner.

Illysia, où est-ce que tu vas ?
Ne le vois-tu pas ?
Lui, qui est juste là.

Il perçut dès ces premiers mots le regard de la jeune femme se tourner vers lui, mais il continua la mélodie, sa voix devenu plus faible...

Sens-tu comme il fait froid ?
Toi, déesse de la glace, protège le, protège moi…

Il sentit à présent qu’elle s’approchait de lui, et par peur de ses propres mots devenus tant exigeants il s’arrêta. Sa gorge se noua. Il voulait voir si elle souriait mais il n’ouvrit pas les yeux. Il leva son visage vers elle et se mit à sourire.
Il ne connaissait pas les expressions du visage d’Illysia mais il se les imaginait.
Après quelques mots, qu’elle lui adressa, elle suivit son chemin, surement en lui faisant signe de la suivre. Il la suivi, écoutant ses mots avec intérêt. Tout ce que lui disait cette jeune femme était pour lui de la plus haute importance, ses moindres mots l’étaient, même un « bonjour » ou un « merci »…Et encore plus un « merci » qu'une longue phrase explicative. C’était tout de même grâce à cette mage qu’il avait appris l’importance des mots, et c’est souvent d’elle que venait les plus jolis mots, et c’est encore elle qui lui avait appris plusieurs dizaines de définitions de mots étranges qu’il piochait dans la bouche d’inconnu dans des maisons inconnues en train de manger une nourriture le plus souvent inconnue.
L’enfant chantonna l’air qu’il avait commencé tout à l’heure mais cette fois il ne m’y pas de mots sur sa mélodie…Il fredonnait juste en rythme avec le souffle du vent.

Illysia se figea en entendant la douce mélodie. La voix d'enfant, douce et légère, se répandit dans l'air comme une étoile filante, laissant dans son sillage de silence un éclat de lumière. Lorsqu'elle se tut, la jeune Mage entendait encore la mélodie dans son esprit, et les notes qu'elle avait reconnues dansaient sous les paupières qu'elle avait fermées pour profiter au maximum de cette douce chanson.
Elle se retourna et ouvrit les yeux pour découvrir Iri. Le jeune garçon avait les yeux fermés, comme à son habitude, et s’était immobilisé à quelques mètres d’elle. Il attendait.
Il attendait un signe, un mot, un murmure, un bruit. Il attendait une réaction. Une réaction qu’il ne pouvait voir. Par ce qu’il ne voulait pas ouvrir ses doux yeux de saphir clair. Illysia se souvint du fugace aperçu qu’elle avait quelque fois de ces yeux fascinants. Bleus comme la glace lorsqu’elle est plus froide que d’ordinaire. D’un bleu envoûtant, électrisant.
La jeune femme sourit dans l’air glacé de la cour, qui avait retrouvé son immobilité. Même le jeune page s’était arrêté de briser les stalactites, ému par ces quelques mots chantés d’une fragile voix d’enfant.
Illysia fit quelques pas en direction de son ami, et s’immobilisa devant lui, avant de l’observer de la tête aux pieds.
Même s’il était maigre, presque frêle, au moins, aucune marque de coup ou trace de blessure ne marquait sa peau diaphane, et ses vêtements étaient vierges de sang.
La Mage Neige soupira. La dernière fois, trois semaines auparavant, il était revenu la voir tremblant de fièvre, à cause d’une blessure infligée par un homme l’ayant jetée sur les débris de verre d’une fenêtre brisée, et avant dû garder le lit trois jours. Elle était rassurée de le voir sinon en bon état, au moins en bonne santé.

-Viens, mon ange à la couverture bleue. Je vais te protéger de ce froid qui te mord comme un loup affamé.

Elle lui fit signe de la suivre, signe qu’il ne vit pas mais qu’il devina, puisque lorsqu’elle tourna les talons il la suivit, ses pieds, ses petits pieds d’enfant faisant crisser le givre sur les graviers de l’immense cour.

-Suis-moi, nous allons nous mettre à l’abri dans cette coursive, puis nous attendrons Türen. Je lui demanderai s’il ne peut pas te faire un vin chaud ou un thé. Et tu viendras à la maison après, il faut que je te fasse goûter un thé nouveau. Je te trouverai une cape plus chaude, une tempête s’annonce pour bientôt.

Et, d’un murmure que seul l’enfant put entendre, elle lui donna ce simple mot, avec un sourire :

-Merci.

Elle ouvrit la porte de la galerie et le fit passer devant elle, avant d’entrer à son tour et de refermer la porte en verre.
Il régnait une douce chaleur dans la coursive. Il ne faisait pas chaud, loin de là, mais en comparaison des moins douze degrés de l’extérieur, les quatre degrés qui régnaient dans le couloir abrité semblaient chauds.
Néanmoins, la température ressentie n’est pas la température extérieure, et Illysia empêcha son protéger d’enlever la double cape qu’il portait. Elle constata avec horreur qu’une fine pellicule de givre s’était formée sur la cape supérieure. Depuis combien de temps cet enfant n’avait-il pas dormi dans une maison ?

Bien qu’Iri aimait beaucoup Illysia, il dut s’empêcher de faire la moue pour ne pas paraitre désagréable quand elle lui apprit qu’ils allaient se mettre à l’abri dans la coursive pour attendre Türen, car au fond de lui il n’était pas des plus satisfait. A vrai dire, vraiment au fond de lui, il n’aimait pas tellement Türen. Il ne savait pas réellement pourquoi et bien qu’il eut cherché, il n’eut jamais trouvé de réelles explications.
Il avait fini par se dire : « surement sa voix … ». Il pensait qu’il n’aimait pas cette voix d’homme protecteur, alors qu’en réalité cet homme était impuissant, qu’il ne pouvait rien arranger à ce monde désastreux. « Ce n’est pas lui qui pousse les nuages et qui fait naitre les enfants entre les cuisses des femmes, ces femmes qui hurlent pour parfois ne trouver qu’un enfant mort-né sur leur ventre épuisé. Il ne peut rien changer à la vie, et personne ne peut, et lui, il croit tout de même qu’il est là, grand protecteur de l’humanité. Un vin chaud ou un thé, évidement qu’Asavakit en rêverait, mais pas de lui, parce que s’il lui offre c’est juste parce que c’est un ami d’Illysia, et non parce qu’il en a envie. Il a déjà offert trop de chose à Asavakit par obligation, ne pouvant dire non aux demandes d’Illysia. C’est fini maintenant, Asavakit n’acceptera plus. Il ne veut plus subir, son…Comment lui a-t-elle dit que ça s’appelait déjà ? Ah oui, son ironie. Ou non, ce n’est pas l’ironie que ça s’appelle, c’est l’hypocrisie, et ça, ce n’est pas bien. L’ironie c’est plutôt bien je crois. » Plongé dans ses pensées, il attendait au côté d’Illysia son ami Türen, bien qu’il n’eut pas envie de le voir.

Il commençait à ressentir un peu de chaleur entrer sous sa cape, il voulut l’enlever parce qu’elle lui glaçait la peau, il voulait profiter d’un peu de chaleur. Mais Illysia sous une bonne intention l’empêcha et il la regarda quelque peu frustré, entre ses yeux mi-clos. Puis il vit le regard inquiet de la jeune fille posé sur sa cape et refermant totalement les yeux, il se fit plus doux.

-Asavakit ne va pas attraper froid, il enlève la cape pour profiter d’un peu de la chaleur du couloir.

Illysia porta cette fois-ci un regard étonné sur Iri, et il continua à se justifier, se doutant qu’elle n’aurait pas compris tout de suite : «La cape est plus glacée que l’air… ». Puis il la déposa à ses pieds et resserra la couverture bleue qui lui restait contre lui.
Au bout de quelques minutes de silence, il se rendit vite compte qu’il n’avait aucune envie d’attendre, et surtout pas d’attendre Türen. Il s’était rendu à la cour pour entendre certaines nouvelles qu’il y aurait sûrement sur ce soit disant discours et il se retrouvait à attendre Türen, dorloter par Illysia qui lui proposer toutes ses délicatesses. Il n’en pouvait plus de tout ce silence, il voulait des mots, des mélodies, quelque chose, tout sauf ses pensées qui lui montraient déjà le visage de Türen lui offrant du vin chaud. Mais comment refuser de telles gentillesses ?

-Il y avait un jeune homme qui parlait avec Illysia tout à l’heure. Qui est-ce ?

Par cette question il attendait simplement qu’Illysia lui réponde, quelque soit la réponse, et qu’il puisse dire qu’il voulait aller lui parler, pour en savoir plus sur le discours qui se préparait sur ce qu’il se passait ici. Mais il avait bien peur que la jeune fille lui dise de ne pas aller le déranger et qu’il soit forcé de rester là à attendre Türen.

Illysia soupira, et frôla du bout des doigts la cape de son jeune ami. La glace disparut en un instant. Puisqu'il voulait l'enlever, elle le laissa faire, essayant de juguler son instinct trop protecteur. Malgré cela, elle observait Iri du coin de l'oeil, prête à lui remettre sa cape de force s'il commençait à grelotter.
Il était vrai que la température dans le couloir était plus douce que celle qui régnait au dehors, mais elle n'en était pas pour autant chaude. Malgré cela, Illysia se surprit à enlever l'écharpe de laine épaisse qu'elle portait, enroulée serrée autour de son cou si blanc, blanc comme la neige.
Elle capta du soin de l'oeil le regard amusé de celui qu'elle appelait son petit ange. Elle sourit et leva les yeux au ciel. "Fais ce que je dis, pas ce que je fais", pensa-t-elle à destination du jeune homme.
Le silence régnait dans le couloir, seulement troublé par les respirations des deux amis et par les gouttes d'eau qui dégoulinaient des habits gelés d'Illysia.
A la question que posa le jeune homme, Illysia hésita à répondre. Elle avait vu, en voyant sa moue boudeuse, qu'il n'était pas ravi de revoir Türen. Désirait-il un échappatoire ?
Alors qu'elle réfléchissait, un jeune homme en armure d'acier étincelant se présenta au bout du couloir. Il était grand, un mètre soixante-quinze environ, et portait une tunique aux couleurs de la Reine Fleuve. Il était brun, ce qui était plutôt rare, et portait ses cheveux courts, légèrement bouclés, qui retombaient en désordre sur un front assez grand. Ses yeux vert foncé regardèrent durant quelques instants au delà des vitres de la coursive, puis revinrent vers l'intérieur, et son regard se posa sur la jeune Mage.
Il marcha vers elle d'un pas assuré, son épée battant à con côté. Il s'inclina devant la jeune femme, et, remarquant le jeune garçon légèrement en retrait, il s'inclina également devant lui.

-Mage Illysia Hrigya ?
-C’est moi.
-Je viens vous transmettre un message du Capitaine de la Garde Türen.
-Je vous écoute, répondit le jeune femme.

Le jeune soldat jeta un rapide coup d’œil vers Iri, puis son regard interrogatif se posa sur la Mage Neige. Laquelle acquiesça. Oui, il pouvait parler devant Asavakit.

-Le Capitaine Türen est souffrant et ne pourra honorer sa visite aujourd’hui. Il s’excuse auprès de vous.
-Je vois. Eh bien, ce n’est pas grave. Mais je voulais avoir quelques renseignements quant au discours qui doit se tenir sous peu, c’est pour cela que je l’attendais. D’habitude, nous nous voyons plutôt vers la fin du mois, lorsqu’il a reçu sa paye et peut passer dans une bonne taverne.
-Et bien je euh… J’ai quelques heures de libres devant moi, je peux essayer de vous renseigner, bien que ce que j’aurai à vous apprendre ne sera pas du niveau de Türen. Je ne suis qu’un simple soldat.
-C’est mieux que rien, répondit la jeune femme en souriant. Peut-être pouvons nous poursuivre cette conversation à l’intérieur…
-Mais bien sûr, que suis-je bête ! Je n’ai même pas la politesse d’inviter une dame à se réchauffer. Venez, nous allons entrer dans la partie chauffée des coursives, et j’irai vous chercher un thé. Et quelque chose pour votre ami.

Un sourire se dessina sur le visage d’Illysia.

-Que voudras-tu boire, Iri ?

Attendant sa réponse, il ne la reçu pas. Pourtant, il avait l’habitude qu’Illysia lui donne rapidement tout ce dont il voulait, surtout lorsqu’il s’agissait de mots. Mais le silence se fit, et le garçon sentit la présence d’une tierce personne. Il sut très vite que ce n’était pas Türen. Ce n’était pas le son que faisaient ses pas, bien que la démarche du nouvel arrivant fût tout aussi assurée que la sienne. Ce n’était pas non plus la façon dont il se présentait à eux, bien que lui aussi parfois s’inclinait. Et ce n’était pas sa manière de s’arrêter, de laisser du silence avant de parler. En somme, c’était forcément une autre personne. Mais qui ?

L’inconnu s’adressa à Illysia, il savait déjà son nom et il savait aussi qu’elle était Mage. Mais bon sang, qui était-il ?
Au moment même où celui-ci expliquait à la jeune mage qu’il n’était qu’un simple soldat, Asavakit Iri, horrifié, reconnut la voix de l’homme. L’enfant bredouilla pour lui-même « oh non… ». Non, ce n’était pas un soldat, c’était un malfrat. Un mauvais, il reconnaissait cette voix qui avait prononcé des mots si durs autrefois, un soir de pleine lune s’il se souvenait bien « Votre or ! Votre argent ! Plus vite » et qui faisant du bruit avec il ne savait trop quoi. Ce brigand avait terrorisé la pauvre famille chez laquelle Iri avait été invité pour le repas. L’enfant s’était caché dans une malle où grouillaient toutes sortes d’insectes et de crasses, mais il était mieux là que face à l’homme à la grosse voix. Cette voix qu’il reconnaissait aujourd’hui. L’homme était là, devant eux, et il mentait, se faisant passer pour une connaissance de Türen. Ou peut-être était-ce Türen qui l’envoyait ? « Non, un ami d’Illysia ne peut être si mauvais… »

A peine l’enfant reprit ses esprits qu’Illysia l’entrainait à l’intérieur lui demandant gentiment s’il ne voudrait pas quelque chose à boire. Il était trop tard, elle s’était laissé prendre au piège. Mais il fallait la sortir de là, il allait leur arriver malheur. L’enfant tenta le tout pour le tout.

« Suis Asavakit, Illysia ! »
Asavakit Iri saisit la main de son amie la Mage, il ramassa à l’aveuglette sa cape et l’écharpe de la jeune femme, poussa la porte avec violence et sortit.

Il entendit l’homme étonné, crier derrière eux, sans pour autant les suivre :
« Mais ? Qu’est-ce qu’il lui prend ? Ce garçon est totalement fou ! »

Mais Iri pensait voir clairement dans le jeu de l’homme, et tant ses pensées l’envahissaient il avait l’impression que le jeune soldat les poursuivait à grands pas et qu’il allait bientôt les rattraper.

En vérité l’homme n’avait même pas songé à les poursuivre, il n’était là que pour faire une commission demandé par Türen et ne comprenait aucunement le comportement de l’enfant.

La mage et le jeune ménestrel passèrent en courant devant l’ouvrier. Celui-ci laissa tomber le piolet qu’il avait à la main. Il parut légèrement bousculé, les regarda partir puis se retourna vers le soldat. Celui-ci ayant l’air plus qu’étonné, un soupçon perplexe, il ne chercha pas plus loin et il ramassa son piolet pour se remettre à son travail qui n’avançait décidément pas si rapidement que ça aujourd’hui.

Iri, lui, courait toujours main dans la main d’Illysia, ne sachant trop où il allait il courait tout de même de plus en plus vite de peur d’être rattrapé par le pauvre soldat qu’il avait pris pour un malfrat.

Illysia discutait calmement avec le jeune garde, mais elle sentait Asavakit devenir nerveux derrière elle. Il réfléchissait, elle en était certaine. Cette manière de lever ses paupières closes, elle la reconnaîtrait entre mille, cela voulait dire que son jeune protégé écoutait attentivement et essayait de reconnaître un son. Ou une voix.
La Mage Neige ne s’en formalisa pas, et continua sa conversation avec le jeune soldat.
Alors qu’Illysia demandait à son ange à la couverture bleue ce qu’il voudrait boire, Iri lui prit la main pour l’entraîner dehors. Etonnée, ne sachant comment réagir, elle suivit le jeune garçon qui la tirait par le bras, leurs mains liées. Il courait, et la Mage Neige fut bien forcée de se mettre elle aussi à courir, pour ne pas se laisser distancer.
Iri poussa violemment la porte au bout de la coursive, faisant trembler les vitres et tomber quelques stalactites. Le jeune page, bien que surpris de la violence du coup, le remercia d’un signe de tête, qu’Asavakit ne vit pas.
Illysia courait derrière lui, de plus en plus étonnée par son jeune protégé. Elle ne réfléchissait plus à rien, ne pensait à rien d’autre qu’à la violence de ce bas monde qui avait déteint sur un enfant, sur un jeune garçon autrefois si doux et prévenant. Elle maudissait ce monde cruel et injuste.
Lorsqu’elle recouvra ses esprits, ils franchissaient l’arche de pierre finement sculptée qui délimitait l’entrée de la cour. Illysia s’arrêta et retint Asavakit par la main.
La force de la Mage, supérieure à celle qu’il avait, le força à s’arrêter. Il tourna son visage vers elle, toujours sans ouvrir les yeux.
Illysia le regarda longuement, en silence. Les cernes sous les paupières fermées de son jeune ami étaient plus visibles en pleine lumière, et sa peau par ailleurs si blanche, presque diaphane, avait pris une teinte violette qui ne lui allait pas du tout. Elle distinguait aussi les prunelles qui bougeaient sous les paupières closes d’Iri, signe qu’il avait peur.
Elle se pencha vers lui jusqu’à n’être plus qu’à une vingtaine de centimètres de son visage d’enfant sage, et lui murmura d’une voix douce :

-Que se passe-t-il Iri ? Pourquoi nous as-tu menés dehors en courant ? Quelque chose t’a effrayé ?

Puis, préférant calmer l’enfant en adoptant sa façon de s’exprimer bien particulière, elle reprit :

-Iri a-t-il entendu quelque chose qui le préviendrait d’un danger ? Pourquoi a-t-il entraîné Illysia à sa suite hors de la coursive où il faisait si bon jusque dans la cour glacée ?

Les prunelles d’Asavakit cessèrent de s’agiter sous les paupières du jeune garçon, et Illysia l’embrassa sur le front pour le calmer tout à fait. Leurs deux respirations s’accordèrent, se calmèrent, et continuèrent plus sereinement dans un parfait ensemble à troubler le silence de l’avant-cour.
N'obtenant pas de réponse de la part du jeune garçon, Illysia choisit de ne pas l'emmener aux cuisines, mais préféra le reconduire chez elle. Elle lui préparerait un thé bien chaud et le laisserait se calmer et se reposer devant un bon feu de cheminée.

» Event n°1 : Rendez-Vous..